Mir

Soirée théâtrale au Centre culturel italien de Paris.

Un ami joue dans la pièce, et la metteur en scène est la femme d'un ami.

Mais pour l'instant, mes amis ne sont pas là.

Alors je les regarde, les autres.

Ils sont tous là.

D'abord, le "grand Auteur", avec un A majuscule. Ce n'est pas lui qui a écrit la pièce, mais il aurait bien voulu. Alors il se contente d'en dire du bien, avec cette infime pointe de condescendance qui laisse entendre que, bien sûr, s'il l'avait écrite, elle n'aurait pas ces quelques petites faiblesses, bien compréhensibles chez un auteur aussi jeune, mais que lui, naturellement, aurait évitées.

Le grand Auteur se reconnaît aisément. Si c'est un homme, il porte des cheveux blancs et une écharpe rouge. Si c'est une femme, c'est l'inverse.

Son drame, c'est d'avoir trop bien compris et restitué dans toutes ses subtiles nuances la complexité de l'homme moderne des années soixante-dix ("Septante", pour les Belges, les Suisses et tous les autres bien portants).

Depuis, il a eu du mal à suivre. Et puis maintenant il porte des lunettes.

Puis il y a l'Ancienne Actrice. Parfois, elle est avec l'Auteur. Si ce n'est pas le cas, au moins elle a été avec l'Auteur. Ou le sera. C'est une question de temps, d'occasion, ou de qui se lassera le premier.

L'Actrice s'habille essentiellement d'un sourire neurasthénique, d'une robe anorexique et d'un soupçon de chirurgie esthétique.

Il y a la femme de l'Attaché Culturel. Jamais remise qu'il ne soit pas Ambassadeur. Alors elle boit.

Il y a l'Attaché Culturel. Lâchement soulagé de ne pas être prof de lettre.

Il y a les Journalistes. Assez mécontents du choix du vin servi dans le cadre de l' "apéritif dînatoire" ... leurs critiques demain seront féroces.

Beaucoup d'Anonymes qui gagneront beaucoup à le rester.

Deux ou trois femmes nimbées de ce mystère magnétique qui rend spirituels le moindre de leurs silences, et qu'elles gâchent stupidement en croassant dans leur portable "ben t'es où, j't'attends depuis dix minutes ! ..."

et puis moi.

et la pièce, enfin.

un coup de poing, un coup de sang, un coup de gueule.