un lapin (1)
Cela ne devrait plus tarder, à présent.
Une poignée d’invités s’attardent encore, traînant d’un buffet à l’autre, mais leurs conversations s’estompent, ils se font discrets, ils se sentent peut-être indésirables. D’ailleurs ils le sont. Ils vont partir, quitter la pièce, le silence va revenir. C’est pour bientôt.
Il l’a tellement attendu cet instant qu’il ne sait pas trop ce qu’il fera. Rien, sans doute. Tout juste s’il essayera d’être plus attentif que d’habitude, pour capter quelque chose, au cas où il se passerait quelque chose, ce n’est pas certain, je veux dire quelque chose de visible, de palpable, il ne sait pas vraiment quoi d’ailleurs, il imagine une sorte de tension dans l’air, un frémissement, une qualité particulière dans la lumière. On ne sait jamais. Quelque chose de spécial dont il pourrait se souvenir, après. Il aimerait bien qu’il se passe quelque chose, mais n’y croit pas trop. Il se dit que quand même, c’est un moment spécial, un de ces moments très brefs dont on peut dire objectivement qu’ils signifient quelque chose, un changement d’état, une transition, une fin et un début, bref quelque chose dont on devrait se souvenir. Une date qui va rester. D’habitude on ne les voit pas venir, ces moments là. Ils arrivent en douce et vous tombent dessus sans prévenir, et on se retrouve comme un con, en pyjama au milieu du tremblement de terre du siècle, ou devant la reine d’Angleterre qui vient de sonner à la porte d’entrée pour le petit déjeuner. D’accord, c’est peu fréquent, mais des tremblements de terre, ça c’est déjà vu, quand même.
Il attend, mais il se dit qu’il ne se passera probablement rien, c’est normal, c’est comme cela. A quoi ressemblent les instants uniques lorsqu’on les a trop attendus ? Lorsqu’ils surviennent au dépourvu, même en pyjama, c’est différent, c’est plus facile. Par exemple, il se souvient encore de l’endroit exact où il se trouvait lorsque les tours du World Trade Center ont été frappées à New York, ou lorsqu’il vit les premières images de la chute du Mur de Berlin. Dans les deux cas, rien que de très banal, il était chez lui ou devant son ordinateur, au bureau. Mais il pouvait, encore aujourd’hui, décrire précisément le mobilier, le climat de la journée, ses vêtements, les premiers mots stupéfaits échangés avec ceux qui, comme lui et au même moment que lui, assistaient à ces événements non programmés. Même sa tasse de café lui revient en mémoire, avec le chien Droopy, il allait la remplir lorsqu’il a entendu les premières bribes de conversation, il paraît qu’un avion s’est écrasé sur une tour du World Trade Center à New York, non ?, si, je t’assure, c’est incroyable que le pilote fasse une erreur pareille, mais non, c’est un attentat, tu es sûre ?, je ne sais pas, ils n’ont rien dit encore, mais on peut voir la tour flamber sur le site de CNN, ah oui, dis donc, ils sont combien là-dedans, j’en sais rien c’est fou quand même. Quand les bombes ont explosé sur Hiroshima et Nagasaki, il ne se souvient de rien, mais il a une excuse, il n’était pas né. De peu.
Aujourd’hui, c’est différent. Il ne sera pas pris par surprise, au contraire. Il a eu tout le temps d’anticiper ce moment. Il en a préparé chaque détail, et pourtant maintenant que l’instant approche, il sent monter une nervosité inattendue. Agaçante. Un élément non prévu dans une journée où rien n’avait été laissé au hasard.
(à suivre)
Une poignée d’invités s’attardent encore, traînant d’un buffet à l’autre, mais leurs conversations s’estompent, ils se font discrets, ils se sentent peut-être indésirables. D’ailleurs ils le sont. Ils vont partir, quitter la pièce, le silence va revenir. C’est pour bientôt.
Il l’a tellement attendu cet instant qu’il ne sait pas trop ce qu’il fera. Rien, sans doute. Tout juste s’il essayera d’être plus attentif que d’habitude, pour capter quelque chose, au cas où il se passerait quelque chose, ce n’est pas certain, je veux dire quelque chose de visible, de palpable, il ne sait pas vraiment quoi d’ailleurs, il imagine une sorte de tension dans l’air, un frémissement, une qualité particulière dans la lumière. On ne sait jamais. Quelque chose de spécial dont il pourrait se souvenir, après. Il aimerait bien qu’il se passe quelque chose, mais n’y croit pas trop. Il se dit que quand même, c’est un moment spécial, un de ces moments très brefs dont on peut dire objectivement qu’ils signifient quelque chose, un changement d’état, une transition, une fin et un début, bref quelque chose dont on devrait se souvenir. Une date qui va rester. D’habitude on ne les voit pas venir, ces moments là. Ils arrivent en douce et vous tombent dessus sans prévenir, et on se retrouve comme un con, en pyjama au milieu du tremblement de terre du siècle, ou devant la reine d’Angleterre qui vient de sonner à la porte d’entrée pour le petit déjeuner. D’accord, c’est peu fréquent, mais des tremblements de terre, ça c’est déjà vu, quand même.
Il attend, mais il se dit qu’il ne se passera probablement rien, c’est normal, c’est comme cela. A quoi ressemblent les instants uniques lorsqu’on les a trop attendus ? Lorsqu’ils surviennent au dépourvu, même en pyjama, c’est différent, c’est plus facile. Par exemple, il se souvient encore de l’endroit exact où il se trouvait lorsque les tours du World Trade Center ont été frappées à New York, ou lorsqu’il vit les premières images de la chute du Mur de Berlin. Dans les deux cas, rien que de très banal, il était chez lui ou devant son ordinateur, au bureau. Mais il pouvait, encore aujourd’hui, décrire précisément le mobilier, le climat de la journée, ses vêtements, les premiers mots stupéfaits échangés avec ceux qui, comme lui et au même moment que lui, assistaient à ces événements non programmés. Même sa tasse de café lui revient en mémoire, avec le chien Droopy, il allait la remplir lorsqu’il a entendu les premières bribes de conversation, il paraît qu’un avion s’est écrasé sur une tour du World Trade Center à New York, non ?, si, je t’assure, c’est incroyable que le pilote fasse une erreur pareille, mais non, c’est un attentat, tu es sûre ?, je ne sais pas, ils n’ont rien dit encore, mais on peut voir la tour flamber sur le site de CNN, ah oui, dis donc, ils sont combien là-dedans, j’en sais rien c’est fou quand même. Quand les bombes ont explosé sur Hiroshima et Nagasaki, il ne se souvient de rien, mais il a une excuse, il n’était pas né. De peu.
Aujourd’hui, c’est différent. Il ne sera pas pris par surprise, au contraire. Il a eu tout le temps d’anticiper ce moment. Il en a préparé chaque détail, et pourtant maintenant que l’instant approche, il sent monter une nervosité inattendue. Agaçante. Un élément non prévu dans une journée où rien n’avait été laissé au hasard.
(à suivre)
1 Comments:
nouvelle qui donne envie de lire la suite...
By Anonyme, at 11:45 PM
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