Entre gris clair et gris foncé
La pierre est belle, ils ont bien choisi.
Une longue dalle de granit gris clair, veinée de bleu et perlée de noir.
Elle est sobre et belle, comme l’était sa vie. Et froide aussi, comme le vide que laisse sa mort.
La tombe de mon père.
Un prénom, un nom, deux dates.
Sa vie définitivement enclose entre ces deux dates : deux parenthèses scellées et désormais muettes.
Et une part de ma vie est là aussi.
Je n’étais pas venu ici depuis l’enterrement : l’éloignement, certes, mais aussi les horaires des cimetières fonctionnaires. Trois tentatives depuis septembre, trois échecs pour arrivée ‘tardive’ (16h00 …).
Aujourd’hui, je suis venu à l’ouverture.
Il fait à peine clair, le ciel est marbré de gris de bleu et de noir, immense voile funèbre qui recouvre la ville.
A quelques pas, le bosquet de bouleaux qui jouxte le cimetière se balance doucement sous une brise retenue. Une très fine pluie s’égare entre les troncs.
Je suis seul dans l’allée, seul sans doute dans tout le cimetière.
Pourtant, non, je ne suis pas seul, il est là, je me plante devant lui, devant la dalle qui désormais l’abrite mais aussi le retient prisonnier.
Et très vite, comme prévu, comme redouté, la boule noire refait surface, âpre et vicieuse. Elle s’installe dans ma gorge avec sa désinvolture coutumière, arrogante intruse. Elle croit sans doute que je vais, comme d’habitude, réfréner, repousser, contenir la vague qui monte, et repartir, dur et fermé.
Mais cette fois, je ne suis pas seul, mon père est là et sa proximité me fait enfin fondre en larmes.
Des larmes amères, drues, indécentes, sans élégance ni retenue. Acide trop longtemps retenu.
Je suis là, immobile, gauche et niais, secoué de sanglots, la bouche tordue et les mains vides.
Cela dure longtemps, ou à peine quelques minutes, je ne sais pas.
Mes yeux ne quittent pas l’assemblage de lettres en laiton qui répète silencieusement le nom de l’homme dont je porte le nom.
Je pleure toujours sans retenue, mais plus doucement, à présent.
L’acide des premières larmes a enfin eu raison de la boule noire, et je m’apaise progressivement.
Mes larmes coulent désormais sereinement, et je ne suis plus secoué de spasmes.
Je peux enfin bredouiller, mais ne trouve rien d’autre à dire que répéter lentement, comme pour l’apprivoiser, le mot qui me faisait si mal depuis des mois : « papa, … ».
Puis, à travers le rideau de mes larmes, une étrange chorégraphie s’anime lentement.
Les lettres s’ébrouent, le prénom et le nom semblent prendre vie et commencer à flotter doucement sur la dalle.
Et voici que la dalle n’est plus pierre, mais eau.
Elle n’est plus froide et immobile, elle se mue en océan frémissant, parcouru d’une houle puissante.
Et voici que mon père rompt ses amarres, prend la mer, vogue, s’évade de sa prison grise.
Il est libre et me sourit, de ce petit sourire muet qui m’encourageait.
Le ciel se dégage, un peu.
Le gris foncé passe au gris clair.
Je reprends le train, léger, apaisé, la boule noire a disparu.
Une longue dalle de granit gris clair, veinée de bleu et perlée de noir.
Elle est sobre et belle, comme l’était sa vie. Et froide aussi, comme le vide que laisse sa mort.
La tombe de mon père.
Un prénom, un nom, deux dates.
Sa vie définitivement enclose entre ces deux dates : deux parenthèses scellées et désormais muettes.
Et une part de ma vie est là aussi.
Je n’étais pas venu ici depuis l’enterrement : l’éloignement, certes, mais aussi les horaires des cimetières fonctionnaires. Trois tentatives depuis septembre, trois échecs pour arrivée ‘tardive’ (16h00 …).
Aujourd’hui, je suis venu à l’ouverture.
Il fait à peine clair, le ciel est marbré de gris de bleu et de noir, immense voile funèbre qui recouvre la ville.
A quelques pas, le bosquet de bouleaux qui jouxte le cimetière se balance doucement sous une brise retenue. Une très fine pluie s’égare entre les troncs.
Je suis seul dans l’allée, seul sans doute dans tout le cimetière.
Pourtant, non, je ne suis pas seul, il est là, je me plante devant lui, devant la dalle qui désormais l’abrite mais aussi le retient prisonnier.
Et très vite, comme prévu, comme redouté, la boule noire refait surface, âpre et vicieuse. Elle s’installe dans ma gorge avec sa désinvolture coutumière, arrogante intruse. Elle croit sans doute que je vais, comme d’habitude, réfréner, repousser, contenir la vague qui monte, et repartir, dur et fermé.
Mais cette fois, je ne suis pas seul, mon père est là et sa proximité me fait enfin fondre en larmes.
Des larmes amères, drues, indécentes, sans élégance ni retenue. Acide trop longtemps retenu.
Je suis là, immobile, gauche et niais, secoué de sanglots, la bouche tordue et les mains vides.
Cela dure longtemps, ou à peine quelques minutes, je ne sais pas.
Mes yeux ne quittent pas l’assemblage de lettres en laiton qui répète silencieusement le nom de l’homme dont je porte le nom.
Je pleure toujours sans retenue, mais plus doucement, à présent.
L’acide des premières larmes a enfin eu raison de la boule noire, et je m’apaise progressivement.
Mes larmes coulent désormais sereinement, et je ne suis plus secoué de spasmes.
Je peux enfin bredouiller, mais ne trouve rien d’autre à dire que répéter lentement, comme pour l’apprivoiser, le mot qui me faisait si mal depuis des mois : « papa, … ».
Puis, à travers le rideau de mes larmes, une étrange chorégraphie s’anime lentement.
Les lettres s’ébrouent, le prénom et le nom semblent prendre vie et commencer à flotter doucement sur la dalle.
Et voici que la dalle n’est plus pierre, mais eau.
Elle n’est plus froide et immobile, elle se mue en océan frémissant, parcouru d’une houle puissante.
Et voici que mon père rompt ses amarres, prend la mer, vogue, s’évade de sa prison grise.
Il est libre et me sourit, de ce petit sourire muet qui m’encourageait.
Le ciel se dégage, un peu.
Le gris foncé passe au gris clair.
Je reprends le train, léger, apaisé, la boule noire a disparu.
2 Comments:
T'as trouvé les mots...
emilie
By Anonyme, at 9:32 AM
émotion à la lecture de cette note hommage...
puisqu'il le faut
entrainons nous à mourir
à l'ombre des fleurs
By Anonyme, at 6:06 PM
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