Improblog (2) : "Les habitudes"
Loin d'ici.
Dans le désert, un désert, loin, je ne sais pas où exactement, je sais juste ça, c'est un désert. Loin d'ici. Du sable et du vent sur le sable. Un plasma de chaleur pendant le jour, sous le soleil exactement. Et une étendue de gel la nuit, sous un déluge d'étoiles froides.
Dans le désert, je ne sais plus son nom, un désert, loin d'ici, il y a des buissons.
Incongrus, rabougris, desséchés. Ils parsèment le désert, en grappes silencieuses, distants parfois de plusieurs dizaines de mètres.
La curiosité est un vilain défaut, qui conduit à s'attaquer aux buissons.
Par curiosité, on cherche les racines. On cherche à savoir jusqu'où elles doivent plonger dans le sol pour apporter à ces momies végétales mal coiffées les trois gouttes d'eau quotidiennes qui les font survivre.
Alors, l'homme creuse. Il a chaud, mais il a plusieurs gourdes, ça tient lieu de racines. L'homme, lui, croit qu'il peut se passer de racines, qu'il suffit de déterrer celles des autres.
Il creuse, de plus en plus profond. Et trouve des racines. Profondes, bien sûr. Il tente de suivre leur géographie souterraine, l'homme, il suit les racines. Les racines s'enfoncent de plus en plus profondément, puis elles partent dans tous les sens, à l'horizontale. En fait, tous les buissons éparpillés sur plusieurs dizaines de mètres dans le désert partagent les mêmes racines. Ils sont reliés entre eux, les buissons. Et si l'on creuse encore, on s'aperçoit que ces racines elles-mêmes n'émanent que de quelques grosses lianes souterraines, de moins en moins nombreuses et de plus en plus grosses.
Et elles s'enfonçent, ces quelques énormes lianes.
Et plus on creuse, plus elles convergent vers un tronc unique, immense, colossal, enterré plusieurs dizaines de mètres sous le sol et qui, lui-même, s'enfonce à n'en plus finir.
Les racines ne sont pas des racines. Ce sont les branches d'un arbre gigantesque, enterré profondément dans le sol. Les buissons épars ne sont pas des buissons, mais les touffes de feuilles de ces arbres souterrains. Le désert, finalement, n'est qu'une canopée engorgée de sable.
Et personne ne sait où cet arbre, lui-même, plonge ses racines.
(...)
Voilà.
- Voilà, tu as fini ?
- Oui
- Alors tu veux dire que les racines, ce sont les habitudes, et que plus on creuse, plus on va vers la colonne vertébrale de quelqu'un ?
- Je ne sais pas ce que j'ai voulu dire, je ne sais même pas si j'ai voulu dire quelque chose en particulier, je trouve l'histoire jolie, c'est tout.
- "C'est tout", vraiment ? Tu crois qu'en fait, on peut toucher à la marge aux habitudes, débroussailler un buisson ou dégager quelques extrémités de ton arbre englouti, mais qu'au fond, on ne peut pas vraiment toucher à nos habitudes ?
- C'est une façon de voir.
- Ah ça y est, c'est tout toi, ça, tu lance une idée, puis tu ne l'assumes pas.
- Je n'ai pas lancé d'idée, j'ai juste raconté une histoire. C'est toi qui interprètes.
- (silence) ... au fond tu as peut-être raison, et en même temps tu as tort. Peut-être que les habitudes ne sont jamais que l'ultime ramification, la dernière petite veinule de tout notre réseau sanguin. Et si le sang qui coule d'une petite coupure n'est rien, on ne peut pas trancher les artères profondes, ni les remplacer.
- Ah, tu vois, toi aussi tu racontes une histiore, tu choisis une autre image, le réseau sanguin ...
- Tu crois qu'on ne peut pas vraiment changer ? Je veux dire, qu'on peut changer ici ou là une petite habitude, décider de se raser au rasoir électrique après avoir utilisé des lames pendant des années, arrêter le café et passer au thé, commencer le journal par la première page et pas la dernière, mais ... au fond, qu'on ne peut pas vraiment cesser d'être soi.
- C'est quoi, être "soi" ?
- Ah non, ne recommence pas. Tu reviens toujours à ça !
- Désolé ... une vieille habitude.
Dans le désert, un désert, loin, je ne sais pas où exactement, je sais juste ça, c'est un désert. Loin d'ici. Du sable et du vent sur le sable. Un plasma de chaleur pendant le jour, sous le soleil exactement. Et une étendue de gel la nuit, sous un déluge d'étoiles froides.
Dans le désert, je ne sais plus son nom, un désert, loin d'ici, il y a des buissons.
Incongrus, rabougris, desséchés. Ils parsèment le désert, en grappes silencieuses, distants parfois de plusieurs dizaines de mètres.
La curiosité est un vilain défaut, qui conduit à s'attaquer aux buissons.
Par curiosité, on cherche les racines. On cherche à savoir jusqu'où elles doivent plonger dans le sol pour apporter à ces momies végétales mal coiffées les trois gouttes d'eau quotidiennes qui les font survivre.
Alors, l'homme creuse. Il a chaud, mais il a plusieurs gourdes, ça tient lieu de racines. L'homme, lui, croit qu'il peut se passer de racines, qu'il suffit de déterrer celles des autres.
Il creuse, de plus en plus profond. Et trouve des racines. Profondes, bien sûr. Il tente de suivre leur géographie souterraine, l'homme, il suit les racines. Les racines s'enfoncent de plus en plus profondément, puis elles partent dans tous les sens, à l'horizontale. En fait, tous les buissons éparpillés sur plusieurs dizaines de mètres dans le désert partagent les mêmes racines. Ils sont reliés entre eux, les buissons. Et si l'on creuse encore, on s'aperçoit que ces racines elles-mêmes n'émanent que de quelques grosses lianes souterraines, de moins en moins nombreuses et de plus en plus grosses.
Et elles s'enfonçent, ces quelques énormes lianes.
Et plus on creuse, plus elles convergent vers un tronc unique, immense, colossal, enterré plusieurs dizaines de mètres sous le sol et qui, lui-même, s'enfonce à n'en plus finir.
Les racines ne sont pas des racines. Ce sont les branches d'un arbre gigantesque, enterré profondément dans le sol. Les buissons épars ne sont pas des buissons, mais les touffes de feuilles de ces arbres souterrains. Le désert, finalement, n'est qu'une canopée engorgée de sable.
Et personne ne sait où cet arbre, lui-même, plonge ses racines.
(...)
Voilà.
- Voilà, tu as fini ?
- Oui
- Alors tu veux dire que les racines, ce sont les habitudes, et que plus on creuse, plus on va vers la colonne vertébrale de quelqu'un ?
- Je ne sais pas ce que j'ai voulu dire, je ne sais même pas si j'ai voulu dire quelque chose en particulier, je trouve l'histoire jolie, c'est tout.
- "C'est tout", vraiment ? Tu crois qu'en fait, on peut toucher à la marge aux habitudes, débroussailler un buisson ou dégager quelques extrémités de ton arbre englouti, mais qu'au fond, on ne peut pas vraiment toucher à nos habitudes ?
- C'est une façon de voir.
- Ah ça y est, c'est tout toi, ça, tu lance une idée, puis tu ne l'assumes pas.
- Je n'ai pas lancé d'idée, j'ai juste raconté une histoire. C'est toi qui interprètes.
- (silence) ... au fond tu as peut-être raison, et en même temps tu as tort. Peut-être que les habitudes ne sont jamais que l'ultime ramification, la dernière petite veinule de tout notre réseau sanguin. Et si le sang qui coule d'une petite coupure n'est rien, on ne peut pas trancher les artères profondes, ni les remplacer.
- Ah, tu vois, toi aussi tu racontes une histiore, tu choisis une autre image, le réseau sanguin ...
- Tu crois qu'on ne peut pas vraiment changer ? Je veux dire, qu'on peut changer ici ou là une petite habitude, décider de se raser au rasoir électrique après avoir utilisé des lames pendant des années, arrêter le café et passer au thé, commencer le journal par la première page et pas la dernière, mais ... au fond, qu'on ne peut pas vraiment cesser d'être soi.
- C'est quoi, être "soi" ?
- Ah non, ne recommence pas. Tu reviens toujours à ça !
- Désolé ... une vieille habitude.
3 Comments:
Les habitudes sont des rélations qui se créent dans un cadre, un environnement, propice à une évolution, un habitat donc, avoir des habitudes dans un habitat veut dire habiter. Ainsi, nos habitudes changent avec l'environnement, la manière d'habiter est différente, donc, on change.
By Anonyme, at 12:56 PM
"Dans le Sertao, une région particulièrement sèche et aride du Brésil, poussent quelques rares buissons de verdure. Quand on essaie de les arracher on découvre que leurs racines sont fortes et épaississent en s'enfonçant dans le sol. Si on s'obstine à les déterrer on constate qu'elles communiquent avec les racines des buissons avoisinants et qu'elles convergent toutes vers une grosse tige qui descend encore plus en grossissant et parvient enfin à un énorme tronc unique qui perce la terre comme un trépan. On se rend compte, en fait, qu'il s'agit d'un arbre énorme qui s'est enterré de lui-même à vingt ou trente mètres au-dessous de la surface du sol afin de trouver l'eau. Ainsi, ces buissons que l'on voit dans le désert du pays ne sont-ils que les extrémités des branches de cet arbre gigantesque."
Marie Cardinale a les mots pour le dire...
By Anonyme, at 3:59 PM
Et Cardinal, même.
By Anonyme, at 3:59 PM
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