Nemyo's

mercredi, novembre 30, 2005

et si, finalement,

PS (oui, je sais, un PS se place en principe après le scriptum, mais là, comme je risque peut-être de perdre des gens en route à la lecture du post qui va suivre, c'est un "pre-scriptum") : je voulais juste dire que je n'ai pas oublié les "commandes" de textes, ils vont arriver, je peaufine.




L’envie, soudain, d’accélérer.

De casser les codes, les rythmes convenus, pour en extraire l’ADN. La moelle.

Tomber les masques ? Non pas vraiment, mais s’en approcher, flirter avec la falaise.

Et puis se jeter : pourquoi écrire sous pseudo plus d’un an, pourquoi cette laborieuse construction d’une identité qui m’est proche mais n’est pas totalement moi ? Pourquoi cette fascination de séduire à l’aveugle, et laisser des traces contrefaites qui ne conduisent qu’à un erzatsz de moi ?

Ce soir, je lis le livre de cette femme, dont j’ai déjà parlé sur ce blog, il y a longtemps. C’est son septième roman, il commence comme un feu d’artifice. Une précédente déception, relatée sur ce blog à propos de la « Tentation d’Edouard », me fait redouter la descente, après l’ivresse des premières pages. Pourtant, elle a un talent fou, pervers, brillant, jouissif et manipulateur.

Si elle a pris à l’écrire la moitié du plaisir que j’ai à le lire, elle n’a pas perdu son temps …

Elle publie sous le nom d’Elisa Brune, et son roman s’appelle « Un homme est une rose ». Il est réel, il a un éditeur (Ramsay), un achevé d’imprimé (août 2005) et un numéro ISBN. Il y a du vrai papier, de la vraie encre. Toutes les apparences du réel.

Elisa Brune, ce n’est pas son vrai nom.

C’est sous un autre nom que, voici maintenant presque vingt ans, je sortais de l’adolescence, je l’ai connue, aimée, baisée, trompée, aussi, comme elle m’a baisé, et trompé.

Le premier amour, tumultueux, innocent, génital, pervers, comique, infiniment banal et à jamais inimitable. Elle écrit bien, je jouis en cavalcades à sa lecture, je connais quelques unes des clés de son roman, les personnages cachés sous les noms en apparence anodins qu’elle utilise. Dans l’un de ses précédents romans, elle confiait à l’un de ses personnages des souvenirs de vacances dans le Val d’Aoste qui sont ceux qu’elle et moi partageons.

S’en souvient-elle seulement ? Après tout, peu importe. C’est de l’histoire ancienne, les souvenirs ne m’appartiennent pas, ils ne lui appartiennent pas davantage, elle en a fait de la pâte dont est née la pâte épaisse et craquante dont les lecteurs se sont nourris.

Privilège exorbitant des auteurs.

Je voyage, encore, et pourtant cette nuit, de retour de Washington, je suis en terrain connu.

Je m’amuse à penser que je lis son livre, acheté ici presque par hasard dans l’une des rares librairies ouvertes jusqu’à minuit, dans cette ville qui fut « ma » ville, « notre » ville, cette ville quittée depuis tant d’années, dans la solitude de l’hôtel de luxe où jamais, enfant ou adolescent, je ne me serais rendu. Cette ville où mon passé, mes souvenirs, les senteurs diffuses d’une adolescence banale sont encapsulés à jamais. Cette ville désormais étrangère, où mon passeport fait aujourd’hui de moi un voyageur de passage, alors qu’elle est ma mémoire.

Elle a du talent, Elisa, et tant pis si c’est un pseudo. Elle écrit court, comme un claquement de langue. Elle séduit et virevolte. Elle me plaît infiniment. Je me remémore son corps, ses emballements et ses reculs, ses folies et ses silences. Sa détermination obstinée à ne jamais se contenter de la surface, du convenu, du pré-emballé.

Et puis ce regard provocateur et secret. Je suis passé à côté d’elle.

Et elle, de moi.

Pourquoi, donc, disais-je en entame de ce mot, ne pas accélérer ?

Profiter de la douce euphorie de l’alcool qui ce soir m’accompagne, après le repas trop bien arrosé par le client heureux, pour traverser le miroir ? Le miroir que complaisamment je me tends sur ce blog depuis bientôt, quoi, un an ? Un an déjà ? Un an pour quoi ? Un an pourquoi ?

Tout change et rien ne bouge. Je reste là, comme un con. Et me heurte aux grilles fermées de ce cimetière immobile, où mon père dort sous la pierre froide que j’ai choisie et pas encore vue, depuis tant de mois. Et les larmes d’hiver, qui se sont frayé un chemin difficilement, elles devaient vaincre cette boule noire et râpeuse dans la gorge. Oui, cet après-midi, les larmes venaient de la gorge, et je fermais les yeux.

Finalement, disais-je, pourquoi accélérer ? Pourquoi directement m’adresser à elles ?

A ces quelques lecteurs qui sont plutôt des lectrices, ce qui me plaît. Ou, s’il y a des lecteurs, ils ne se manifestent pas. Ils ont probablement compris que je n’écrivais pas pour eux. Pourquoi, donc, me lisent-elles ? Qu’ai-je à dire, à offrir, sinon le miroir de leurs propres questions ?

Ou rien de tout cela, juste l’écho assourdi d’une soirée arrosée ? Trop bu, ce soir. Une belle victoire noyée dans l’alcool dispensée à l’envi par un client ravi, grâce à moi un projet qui se veut important va voir le jour. Un succès, oui, une négociation difficile menée à bien. Mais qui en parlera dans seulement cinq ans ?

Je reviens à elles : pourtant, non, il y a quelque chose : au fil des mois, je me suis pris au jeu : je n’ai plus rien à dire, mais souffrirais de ne plus l’écrire. Juste pour guetter l’écho de mes mots dans leurs réactions. Et le plaisir de les imaginer. Surtout ne rien savoir : un nom, un âge, quelques bribes de personnalités , la courbure d’un regard émergeant d’un dialogue poursuivi sur plusieurs mois. Qui est Emilie ? Qui est Elisanne (quoi que cette dernière ne se dissimule guère) ? Qui est Hépao ?

Qui sont ces miroirs où je reflète à l’envi mon propre goût de l’esquive ? Elles existent et me lisent, j’écris à présent autant pour elles que pour moi, parfois je leur mens, rarement toutefois, car je ressemble finalement à l’image que je donne de moi, et cela finit par m’effrayer, car je ne me reconnais pas lorsque je me regarde sans fard. Oui, les voyages incessants sont réels, oui, la maison sur l’île blanche existe et oui, je n’aime rien tant que d’y allumer le feu qui éloigne l’hiver. Si je mens, ce n’est qu’à la marge, au détour d’un détail, et petit à petit, toujours en pensant à elles. Pourquoi, moi qui ne pense en général surtout qu’à moi, n’ai-je fini par écrire qu’en pensant à elles, à leurs réaction, à la couleur de leurs yeux, à la courbure du regard, et plus si affinités ?

Bien sûr, je n’ignore pas, elles n’ignorent pas non plus, que presque tout est festival de faux-semblants et de décors, après tout nous dialoguons par Internet, je suis homme et elles sont femmes, donc nous mentons, glissons, esquivons, virevoltons, dérivons, pour mieux égarer la question de la séduction, de l’approche, de la quête.

Oh, oui, je sais, je ne devrais pas. Je ne devrais pas dire, démonter, montrer les organes mécaniques de l’automate dont la danse pouvait, dans l’obscurité, séduire. Cela se fait, cela se pratique, cela se montre à demi, mais cela ne se dit pas.

Haro sur le magiciens qui révèle ses tours. Déluge de pierres, lynchages pour le clown qui se démaquille en public. Il y a des année de cela, j’ai vu le spectacle émouvant, poignant, troublant, d’un faux clown qui ôtait et remettait en alternance le nez rouge qui le cataloguait « clown » ; selon les moments, selon les phases de son spectacle, il était le clown distancié, puis sans transition, l’acteur nu, apostrophant le public. A-t-on le droit de montrer l’envers du décors ?

A-t-on le droit de montrer l’os sous la chair, l’intestin sous le velours de la peau ? Caresse-t-on un corps qui se revendique simple enveloppe de viscères ?


...



(le lendemain, dans le train qui me ramène à Paris)

… peut-on, me demandais-je ? Non, je crois qu’on ne peut pas, et donc je le fais. Pourtant, il est inefficace et sans doute vaguement indécent d’appeler platement par son nom une entreprise de drague, même virtuelle et improbable. Surtout virtuelle.

Elle s’amuse, Elisa (je parle de l’auteur …).

Elle doit faire partie de ces femmes qui considèrent que les mâles ne sont dotés en neurones que dans la parcimonieuse mesure strictement nécessaire pour effectuer le court trajet entre les yeux et la bite.

Elle n’a sans doute pas tort. Mais au moins, elle, elle s’amuse à décoder les stratégies qui émaillent ledit trajet. Comme une entomologiste qui ne s’interdirait pas de tomber amoureuse de ses objets d’étude, tout en faisant alors de cet épisode un autre sujet d’étude.

Il faut croire que ce thème, cent fois remâché, permet encore mille variations et virevoltes … J’ai bien aimé la scène des pages 137-138. Souvenirs, souvenirs, mais pas avec elle.

Finalement, contrairement à « la tentation d’Edouard », je ne crois pas que je vais débander avant la fin. Ce livre-ci, il tient la distance.

3 Comments:

  • très émue par ton texte, vraiment...troublant....très...

    Au fait, il faut que je le lise, ce livre !

    Emilie

    By Anonymous Anonyme, at 7:40 PM  

  • On est homme, on est femme... Oui c'est vrai.
    Pourtant je pense souvent que ce sont des êtres que je lis. Parfois je les connais, ce sont alors les amies dont je connais la voix le regard et le sourire,ou plus rarement des amis. Parfois je ne les connais pas, et j'ai l'espoir de devenir leur amie... Ne séduit-on pas toujours l'autre, quel qu'il soit, qui nous séduit?
    Il n'y a pas d'indécence dans tes propos, peut-être juste un peu d'orgueil bien placé? ;-)

    Ps : Hepao, sans accent! Quelquefois je laisse mon prénom sur le blog des autres, mais souvent c'était au bord des larmes. Ce n'est pas le cas ici...

    By Anonymous Anonyme, at 2:39 PM  

  • Je me souviens de
    " La tentation d'Edouard", tu m'avais même suggéré finalement de ne pas le lire, j'aime cette note, je suis séduite par tes mots je l'avoue, sinon je ne viendrais pas te lire et encore moins laisser un commentaire
    Pendant plus d'un an je me suis cachée et puis je ne supportais plus ce jeu, alors est né
    "double je" qui se sent plus libre, sans masque ou si peu...
    Elisanne

    By Anonymous Anonyme, at 11:53 PM  

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